Bleu décembre

Avec une cinquantaine de jours sans précipitations significatives dans la région lémanique (et les Alpes), cette fin d’automne a été extrêmement propice aux vadrouilles cyclistes – pour autant qu’on se donne la peine de crever le couvercle de stratus quasi permanent et de monter en altitude. Ce faisant, on échange températures autour de zéro et air pollué contre douceur, ciel bleu profond, air limpide et magie des lumières rasantes.

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Selon MétéoSuisse, nous venons de vivre le mois de décembre le plus sec depuis le début des mesures (1864). Le bilan météorologique a été publié ici.

J’en ai évidemment profité, filant au Salève ou dans le Jura deux fois par semaine depuis le 12 novembre. A deux reprises, j’ai dû rebrousser chemin à cause de la neige abondante tombée durant la première quinzaine de novembre jusqu’à basse altitude.

La première fois, c’était sur la route forestière du col de Crozet, où après avoir poussé un moment dans une épaisse couche de neige fondante, j’ai fait demi-tour aux environs de 1000 mètres d’altitude et me suis résigné à continuer vers le Tiocan (voir cet itinéraire).

Jura Jura JuraLa deuxième fois, projetant une balade au pied du Jura, j’avais pris le train jusqu’à Nyon et m’étais lancé sans préméditation dans la montée vers la Combe des Amburnex, au-dessus de Bassins (en fait, le vélo avait choisi de monter plutôt que de continuer en direction de Marchissy…). Je suis arrivé sans trop de peine jusqu’à la ferme de La Bassine, à la fin poussant le vélo sur la neige fondante et tassée de l’éphémère piste de ski de fond, mais n’ai pas eu le courage de poursuivre en direction du col du Marchairuz – mes chaussures à clips ne sont pas du tout imperméables et je commençais à avoir froid aux pieds. Je suis donc redescendu et ai poursuivi la balade à plus basse altitude jusqu’au beau vignoble de Luins, avant de rentrer par Trélex, puis Divonne.

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Jura Dès le 30 novembre en tout cas, il était possible de franchir sans difficulté le col de Crozet (1485 m) : la neige avait partout fondu, à l’exception de quelques névés persistants ici et là, suffisamment durs pour être passés sur le vélo.

JuraSur les versants exposés au sud, la température est plus qu’agréable : le 10 décembre, mon thermomètre a mesuré jusqu’à 19 degrés (au soleil) vers 1350 m, quand il faisait moins un dans le brouillard quelques minutes plus tôt… Autant dire que les efforts consentis dans la montée sont très largement récompensés ! D’ailleurs, dans de telles conditions, je ne me rends même plus compte que la piste monte, tellement la lumière retrouvée me rend léger et enthousiaste. Et puis le spectacle de la plaine noyée sous les blancs panaches est saisissant. D’une semaine à l’autre, seule varie l’altitude du sommet du stratus, mais heureusement cette limite a oscillé entre 800 et 1000 mètres, ce qui permet d’en émerger très facilement – lorsqu’elle se situe à 1500 mètres, c’est nettement plus problématique, étant donnée l’altitude modeste des montagnes de la région genevoise.

A cette saison, les journées sont courtes et il faut donc partir tôt. Lorsque j’étais trop fatigué pour me lever à l’aube un jour de congé, je partais au Salève, beaucoup plus proche que le Jura – le col de la Croisette (1175 m) n’est qu’à 1h30 de route de chez moi et il donne accès à des pistes et sentiers que j’adore sur son versant sud-ouest, du côté de la Thuile puis de la Grande Montagne, ainsi qu’à la bienveillante prairie des Avenières, regardant plein sud, où l’on fait le plein de lumière et de chaleur avant de replonger dans les frimas glacés au Mont Sion.

SalèveSalèveSalèvebrouillardMais la plupart du temps, je filais au Jura, via Meyrin, Pregnin, Flies et Crozet village : 22 km et un peu plus d’une heure de route dans le froid jusqu’au début de la montée, où l’on peut retirer une couche de vêtements, souvent couverte de givre – l’effort et la vitesse réduite nous réchauffent désormais. J’aime beaucoup la route du col de Crozet, car on est rapidement dans la forêt, il n’y a pas de trafic et on n’y entend pas le vacarme de la plaine. Par ailleurs, la pente reste modérée jusqu’à un jet de pierre du sommet.

JuraSeule ombre au tableau, la présence fréquente de mecs armés avec clébards hurlants et 4×4 de merde. Portez un gilet fluo et parlez, chantez ou criez pour vous sauver la vie, et pour sauver celle de nos amis sauvages à poils ou à plumes !

Au-delà du col de Crozet et de l’émerveillement suscité par la (re)découverte de l’environnement fascinant et « exotique » des multiples replis du Jura, la température chute progressivement, car on aborde le versant nord, qui ne reçoit pas les rayons du soleil en cette saison. Heureusement, quelques kilomètres après le col de La Faucille, à La Vattay, on remonte vers le col de Combe Blanche et c’est l’occasion de se réchauffer rapidement. Mais gare aux glissades, car la route est enneigée et verglacée.

JuraEn certains endroits, on ne voit que forêts de sapins à perte de vue – ajoutons-y le crissement des pneus sur la neige gelée et le bleu profond du ciel et nous voilà transportés dans la taïga, du côté de la Scandinavie, du Canada ou de la Sibérie, selon les goûts de chacun.

JuraAprès avoir parcouru plusieurs fois le col de Combe Blanche en direction de Divonne, j’avais envie de poursuivre mes explorations jurassiennes vers le massif de la Dôle. J’ai donc suivi la piste forestière qui franchit la frontière près du chalet de la « Grande Grand » (oui, drôle de nom).

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JuraPour rejoindre St-Cergue depuis cette magnifique combe, j’ai testé trois options qui imposent toutes de pousser le vélo car il n’y a pas de route. La meilleure est celle qui passe par la ferme de Sonnailley au Prince, puis un beau sentier dans la forêt sur lequel on pousse à la montée (sur la neige durcie, en cette saison) pendant une vingtaine de minutes jusqu’au télésiège, où l’on rejoint les pistes de ski. Après tant de nature préservée, la descente sur ces affreuses surfaces déboisées et caillouteuses n’est pas particulièrement agréable, mais elle est rapide. Et débouche sur le bistrot de Cuvaloup-de-Crans, ouvert à l’année, dont la terrasse reçoit les derniers rayons du soleil. Autant en profiter s’il n’est pas déjà trop tard, car la suite est une autre affaire : givre, verglas et température glaciale dans le vallon de St-Cergue, en avant-goût d’une plongée frigorifiante dans le brouillard par la route d’Arzier (perte d’une dizaine de degrés depuis Combe Blanche). Mieux vaut avoir emporté ses lumières pour être visible dans la purée !

JuraJuraJuraJuraUne fois, j’ai décidé de monter à La Dôle, dont le sommet semble si proche lorsqu’on se trouve dans la tranchée du télésiège – en fait il y a 200 mètres de dénivelé, et pas de chemin. Il faut pousser le vélo dans une pente raide, mais c’est faisable et on accède à un magnifique panorama sur le bassin lémanique et les Alpes d’un côté, les chaînes du Jura français de l’autre. Descente sur le vélo par la piste de ski jusqu’à Cuvaloup. La plaque de neige durcie était défoncée par les pas des randonneurs et j’y ai fait une belle chute, passant par-dessus le vélo et recevant celui-ci dans le mollet. Ça fait des souvenirs…

JuraJuraJuraOutre le choc thermique, le retour en ville, de nuit, sous le stratus, après ces heures lumineuses et silencieuses, est difficile. En cette période de grande aliénation consumériste, la foule se presse encore dans les rues polluées, les bras chargés de cabas débordants. Il faut croire que l’argent est pour ceux-là bien trop facile à gagner ou qu’ils ont tant négligé leurs proches à courir après le fric durant le reste de l’année qu’ils s’imaginent peut-être pouvoir l’espace d’une soirée reconstruire du lien en les inondant de présents. On m’a même raconté que certains magasins proposaient des cadeaux déjà emballés avec contenu-surprise… Autant installer des poubelles à billets de banque dans toute la ville !

Le matérialisme primaire et le mercantilisme qui caractérisent nos sociétés sont de sérieux indices de leur soumission aux seuls intérêts du capital – et in fine de leur profonde dégénérescence. Je suis convaincu que l’homme sage peut-être né il y a un peu plus de 2000 ans dans une étable de Palestine n’en penserait pas moins. Allez, bonne fête aux marchands du temple ! Avec la bénédiction des autorités, qui pour l’occasion transforment la ville en confiserie clignotante.

Tout bien réfléchi, réjouissons-nous que le couvercle de stratus sépare les mondes : à nous les grands espaces et le soleil ! Et pour continuer d’y accéder sans encombre, après deux crevaisons récentes en montagne, je me suis offert de nouvelles bottes de sept lieues, avec le conseil avisé de Mathieu de Viscacha Bike : des pneus à gros crampons (Maxxis Minion DHF et High Roller II). Alors oui, sur le goudron, ça colle, et un trajet de 35 minutes en nécessitera cinq à sept de plus. Mais dans le terrain, c’est magique – ces pneus « avalent » toutes les surfaces et j’apprécie en particulier de pouvoir me lancer à toute allure sur les pistes forestières caillouteuses, de passer sans crainte les virages sur gravier en dévers, de franchir en selle, à la montée comme à la descente, les surfaces de neige dure voire gelée. Mise à jour 6 janvier : efficaces également dans 5 à 10 cm de neige fraîche. Trop cool !

Ce mix de surfaces, auquel il faut ajouter les sentiers recouverts d’aiguilles de mélèzes, est typiquement celui qu’on rencontre dans les Alpes. Et pour la deuxième année consécutive, le Valais bénéficie d’une fin d’année en vert et bleu – la dernière neige est tombée vers mi-novembre. Du coup, j’ai fixé le porte-bagages, rempli deux sacoches, enfourché mon VTT à Genève et rejoint le Val d’Hérens, faisant escale à Monthey, car les journées de décembre sont trop courtes pour monter d’une traite (180 à 190 km selon le parcours) et aussi parce que c’est un plaisir de passer une soirée chez des amis de longue date.

Léman

LémanCe n’est qu’une fois arrivé en altitude que j’ai monté mes nouveaux pneus et me suis dépêché de filer dès le lendemain matin les tester sur mes itinéraires préférés : Tsalet d’Eison (deux fois), Arbey-Arolla, Les Prixes-Ossona, alpage de Cotter (deux fois). Quelle magie de rouler sur les aiguilles de mélèze sans faire aucun bruit !

VTT BullsLa plupart des pistes d’alpage sont fermées à la circulation et on n’y croise par conséquent aucun véhicule – à la différence des autres saisons. La piste de l’A Vieille que j’emprunte pour monter au Tsalet d’Eison est particulièrement agréable, car très lisse et passablement ensoleillée. Au-dessus d’environ 1900 mètres toutefois, il faut compter avec de nombreux passages enneigés voire verglacés : bien choisir sa trace permet la plupart du temps de passer en selle, car la neige reste dure malgré les températures largement positives de l’après-midi. Je voulais monter jusqu’à l’A Vieille, mais ai été bloqué aux environs de 2200 mètres par une importante couche de neige rendue impraticable à vélo par le passage des randonneurs et les profonds trous qui en résultent.

EisonEisonCotterCotterCotterCotterCotterParvenu à destination, tout en haut, je cherche un banc exposé au soleil devant un vieux chalet qui sent bon le bois pour boire mon thé ou faire la sieste en écoutant le silence.

EisonLes principaux obstacles rencontrés lors de ces sorties alpines sont les formidables amas de glace qui se développent autour des ruisseaux et qui, à défaut de transporter des crampons, doivent parfois être traversés à quatre pattes en tirant le vélo couché, ou bien en faisant l’acrobate pour poser les pieds sur quelque pierre pas encore englacée…

La GietteEisonReste à mentionner la balade-pèlerinage de l’autre côté du Rhône, vers la vallée mythique de Derborence. Après une descente du Val d’Hérens apocalyptique en raison des effets combinés de la chute de température avec l’altitude¹ et du refroidissement éolien², et une traversée glaciale de la vallée du Rhône encore dans l’ombre, j’ai retrouvé le soleil à Conthey et mes pieds et mains gelés ont commencé à se réchauffer dans les montées raides à travers le vignoble jusqu’à Erde. La route est barrée au-dessus d’Aven jusqu’au mois de mai, en raison du danger d’avalanche (lorsqu’il y a de la neige) et des chutes de pierres. On s’engage donc dans une vallée totalement déserte, ce qui confère à cette randonnée un caractère unique et fascinant. Dans les faits, j’ai quand même vu trois ou quatre voitures parquées en bordure de route, un cycliste, trois piétons et de la fumée sortir d’une cheminée – mais ça reste exceptionnellement calme.

Il faut zigzaguer entre les pierres (parfois de gros amas) sur la route et ne pas traîner aux endroits exposés, sous les parois. Pour se reposer en sécurité, il y a les tunnels et la partie amont dès Courtenaz.

DerborenceDerborenceDerborenceLa route a été déblayée jusqu’au Godey après les chutes de neige de début novembre, mais pas en direction de Derborence. De toute façon, qui voudrait y aller : le lac est dans l’ombre du Mont à Cavouère.

DerborenceDerborenceLes pâturages situés juste au-dessus du Godey sont quant à eux bien ensoleillés et se prêtent parfaitement à la pause pique-nique. J’y ai sursauté à plusieurs reprises en entendant le fracas des chutes de pierres dans la paroi des Diablerets. Impressionnant.

DerborenceAu retour, pour profiter plus longtemps du soleil, j’ai pris dès Aven le chemin du bisse de la Tsandra jusqu’aux Mayens de Conthey. Plus d’images de la route de Derborence ici.

L’année s’achève donc sur une saison magnifique. On nous annonce du froid pour la suite, mais toujours pas de neige. Je vais donc pouvoir continuer à vadrouiller, en prenant garde toutefois d’éviter les longues descentes, qui sont vraiment désagréables lorsque la température chute au-dessous de zéro. Il faudra que je trouve des équipements plus performants pour les mains et les pieds, car je n’ai pas envie de renoncer à de belles sorties hivernales par temps froid.

Belles escapades en 2017 à tous ! Sans oublier les mille combats à mener au quotidien, parfois contre soi-même et ses mauvaises habitudes, pour éviter la destruction finale de notre magnifique planète.

Val d'Hérens

¹ Sion se trouve rarement sous le brouillard, mais l’inversion thermique est néanmoins présente en Valais comme sur le bassin lémanique : le 30 décembre, le thermomètre a chuté de zéro à moins cinq degrés entre Mase (1300 m) et Bramois dans la plaine.

² Par moins cinq degrés Celsius, la température ressentie à 30 km/h est moins treize degrés, à 40 km/h moins quatorze et à 50 km/h moins quinze (source : Wikipédia).

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