Salon de l’Autodébile

A Genève, l’approche du printemps coïncide avec la tenue de la grand-messe du Salon de l’Auto. Pendant une dizaine de jours, plus de 700’000 consommateurs parfaitement formatés effectuent leur pèlerinage annuel et viennent s’agenouiller devant des bagnoles à Palexpo, temple genevois dédié au matérialisme primaire et à la surconsommation.

L’ouverture officielle est l’occasion d’un défilé de people, dont certains sont invités à prendre la parole, histoire d’ajouter leur bon mot à la logorrhée publicitaire qui plane sur notre bled prétentieux à l’occasion de ce rassemblement bêlant. J’ai ainsi eu le plaisir d’entendre le président de la confédération, Ueli Maurer, ainsi qu’un ministre genevois, Charles Beer, s’exprimer sur ce sujet passionnant : la bagnole.

Faisant preuve d’une originalité détonante, ces deux tristes sires ont une fois de plus évoqué le concept de « liberté » attaché, selon eux, à l’autodébile.

On croit rêver.

Salon de l'AutoMais de quelle liberté nous parle-t-on ?

  • La liberté de passer une bonne partie de sa vie dans sa bagnole, coincé dans les bouchons, pour aller au boulot, partir en vacances ou rentrer de week-end ?
  • La liberté d’émettre en permanence du CO2 et d’aggraver le réchauffement climatique ?
  • La liberté d’être à l’origine de concentrations toxiques de particules fines dans les agglomérations et d’obliger les pouvoirs publics à recommander l’enfermement des enfants et des personnes âgées (plutôt que d’imposer des mesures de restriction du trafic) ?
  • La liberté de mobiliser une masse d’une tonne ou plus pour se déplacer et de constituer, de ce fait, un grand danger pour tous les adeptes d’une mobilité douce, respectueuse de l’environnement (piétons et cyclistes) ?
  • La liberté d’encourager l’industrie pétrolière à poursuivre le pillage des ressources à travers des pratiques d’exploitation de plus en plus risquées et destructrices pour l’environnement (forages en haute mer, prospection dans les zones arctiques, extraction des sables bitumineux) ?
  • La liberté d’abdiquer sa citoyenneté et son sens critique pour se laisser abrutir par la propagande imbécile de l’industrie automobile et de ses relais politiques ?

On se fout vraiment de la gueule du monde !

J’aimerais donc rappeler à nos lamentables autorités qu’elles n’ont pas été élues pour nous rendre encore plus captifs d’un marché prédateur et destructeur, ni pour faire l’apologie des pires égarements de l’économie mondialisée. La bagnole n’a rien à voir avec quelque liberté positive que ce soit, sinon avec celle, chère aux apôtres d’un néolibéralisme aveugle, qui consiste à considérer que chacun est libre de faire ce qu’il veut de son fric pour autant qu’il le dépense sans compter. Et permette à une grosse poignée d’irresponsables de s’enrichir.

Salon de l'AutoLa liberté de consommer tout et n’importe quoi, n’importe quand, n’importe comment. Quel qu’en soit le prix pour l’environnement ou le droit des populations. Pour la liberté tout court, prière de repasser…

Salon de l'AutoBien sûr, on nous affirme que le marché est responsable, que l’industrie de la bagnole s’efforce de développer des véhicules plus économiques et respectueux de l’environnement. Toutefois, il suffit d’observer les affiches publicitaires qui envahissent l’espace public, au cœur de la ville, pour constater qu’il n’en est rien: de nombreuses pubs concernent de gros 4×4 gourmands et volumineux, totalement inadaptés à la circulation en ville. Et le nombre de ces véhicules est en constante augmentation, bien qu’il soit difficile de trouver des statistiques précises sur ce sujet.

Dans Le Temps du 28 février 2011, Willy Boder notait qu’en 2010, « sur les 294’239 voitures neuves vendues en Suisse (en hausse de 10,6%), plus du quart, soit 27,9%, étaient des véhicules à quatre roues motrices pour la plupart «haut sur pattes» et plus lourds que la moyenne. »

Plus récemment, une dépêche Reuters du 1er mars 2013 signée Gilles Guillaume affirmait que le Salon de l’Auto de Genève lançait une « vaste offensive sur le segment des citadines huppées et des 4X4 de ville. »

« Les stands feront la part belle aux citadines premium et aux 4X4 de ville aux lignes reconnaissables, l’une des rares poches de croissance sur un marché européen attendu à nouveau cette année en baisse de 3 à 5%. Et la plupart des industriels se ruent sur ce créneau, au risque toutefois de le saturer. « Tout le monde se met là-dessus parce que c’est un segment à fort volume », commente François Roudier, porte-parole du Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA). » (article)

Quelle que soit la réalité qui se cache sous le vocable obscur de « 4×4 de ville », il apparaît évident que le marché global et les vendeurs de bagnoles n’ont que faire des préoccupations environnementales. Seules comptent à leurs yeux les perspectives de profits immédiats. Et on se demande combien de « crises » et de drames sociaux seront encore nécessaires pour que la population en prenne conscience et s’émancipe. Pour que chacun redresse enfin la tête et rappelle aux patrons arrogants que c’est l’économie qui est au service de l’homme et non le contraire !

D’ailleurs, ce souhait n’est peut-être pas totalement utopique si l’on en juge par le résultat obtenu le week-end dernier par l’initiative Minder sur la limitation des salaires des dirigeants d’entreprises, acceptée par 67.9 % des citoyens suisses, contre l’avis du Conseil Fédéral et de la grande majorité des partis. Le vent est peut-être en train de tourner…

Salon de l'AutoAujourd’hui, c’était par ici le premier jour véritablement printanier de l’année. Et un dimanche ! Une aubaine pour les foules motorisées, qui ont pu s’adonner à leur passe-temps favori, pour se rendre au Salon de l’Auto.

Salon de l'AutoTandis que je parcourais la brousse silencieuse et m’enivrais des senteurs de terre humide.

Salon de l'AutoQuelques liens utiles à propos de mobilité :

compteur du parc automobile mondial en temps réel
carfree.fr
Réduction de la dépendance automobile
Décroissance (Wikipédia)