Les couleurs et les odeurs du monde

Le déconfinement, le retour des comportements grégaires, la hausse du thermomètre et l’accumulation de résultats inquiétants dans les urnes imposent de plus fréquentes sorties de respiration dans la nature. Par chance, elle est juste-là, toute proche. Par bonheur aussi, nous avons profité d’un climat printanier relativement frais et humide, qui nous a épargné les détestables épisodes caniculaires précoces des dernières années.

Au cours de ces sorties, j’ai à nouveau pris conscience de la puissance évocatrice des couleurs et des odeurs de notre environnement, deux éléments auxquels je suis très sensible.

Ainsi, la fraîcheur de certains petits matins, le nuage de condensation au-dessus de l’Arve, l’eau gouttant d’une végétation luxuriante, le cortège de nuages gris foncé défilant dans le ciel et les odeurs de terre humide m’ont transporté à plusieurs reprises, en pensée et en émotion, vers ces terres nordiques que j’aime, du côté de la Scandinavie, de l’Écosse ou de l’Irlande. Tandis que je roulais, même juste pour me rendre au travail, je revoyais intérieurement les images d’une nature préservée, des grands espaces peu peuplés, de forêts omniprésentes et en retirais parfois un petit peu de sérénité, comme lorsque je pédale là-bas pour de vrai, durant des semaines, en silence.

Pas que de la sérénité d’ailleurs : aussi de l’envie. Après deux ans sans possibilité de voyage autre que très local, pour cause de pandémie, nous sommes nombreux à attendre avec espoir la confirmation que nous pourrons nous lancer sur la route cet été…

Bon, quand je dis que la fraîcheur et l’humidité m’évoquent la Scandinavie, c’est que je fais appel à de plus vieux souvenirs, car lors de mes deux derniers voyages dans le Nord de l’Europe, en 2018 et 2019, j’ai plutôt été confronté à des températures élevées, à une sécheresse exceptionnelle et à des incendies de forêt…

Nous avons également connu quelques journées chaudes, hélas pas toujours sauvées par un orage bienvenu en soirée. Ces jours-là, au milieu des champs dorés ondulant dans la brise, c’est l’odeur agréable des céréales en train de mûrir qui me marquait et m’envoyait illico en Italie, dans le sud de la France, ou mieux, sur le plateau de Castille, où l’on oublie facilement à quel siècle nous vivons. Quel bonheur !

Un autre matin, alors que je pédalais le long du lac pour aller travailler, j’ai été saisi de plein fouet par le parfum enivrant d’un figuier planté là. Comme chaque fois que je croise cet arbre, je retrouve alors immédiatement la vision du hangar surchauffé d’Apollonia de Cyrénaïque, en Libye, où je passais mes après-midis à cataloguer des pièces de céramique antique et devant lequel poussait, en plein soleil, un figuier.

Parfois, ce sont des odeurs d’épices ou de fumée qui me parviennent et je m’envole alors quelques instants vers l’Asie, si proche par le cœur et si lointaine dans l’espace et le temps, pour celui qui vit à 20 km/h en tout cas.

Nul doute que chacun-e connaît ces moments exceptionnels de retrouvaille avec des souvenirs olfactifs, visuels ou auditifs qui nous propulsent instantanément des années en arrière et/ou à des milliers de kilomètres, vers des instants de félicité gravés en nous. Peut-être sont-ils encore davantage bienvenus lorsqu’on a été empêché de voyager, ou quand on vit dans un monde qui file tête baissée dans le mur…?

Bon été à toutes et tous, au large des terrains de foot et des foules hurlantes, loin du virus et des mauvaises nouvelles.

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