Si vous marchez ou roulez à vélo en montagne, vous avez sans doute fait l’expérience de ces rencontres inattendues qui donnent à la sortie encore plus de relief.
Le silence, la dispersion des randonneurs, la disponibilité et l’état d’esprit positif résultant de l’effort physique, ainsi que la conscience d’un amour partagé pour la nature constituent autant de catalyseurs qui augmentent la probabilité de rencontres intéressantes, enrichissantes et chaleureuses, dont certaines peuvent donner naissance à une amitié durable.
J’aime beaucoup ces moments d’échange imprévus, empreints de bienveillance et de spontanéité. J’apprécie aussi l’absence remarquable de l’habituel « fossé générationnel » qui sépare et isole, et me réjouis de rencontrer autant de retraité.e.s prenant soin d’eux/elles-mêmes, y compris des personnes d’âge avancé. Il m’arrive parfois de recueillir des demi-récits de vie sur l’alpage, de mesurer le courage et la résilience dont certain.e.s font preuve, de l’affirmer sans détour en guise de reconnaissance, puis de continuer ma randonnée emporté par des vagues d’émotions…
Un autre jour, c’est un camarade cycliste qui me rattrape et propose de faire la montée côte à côte, tout en discutant. On partage alors les itinéraires de la région, les voyages ou les courses auxquelles on a participé, puis on se sépare au sommet en se souhaitant une bonne suite.
Ou encore un vététiste qui me fait découvrir des chemins que je ne connais pas, puis me coache à la descente sur un long single track forestier virevoltant qu’il a conçu et réalisé avec des amis.
Qu’on ne croie pas pour autant que seules les rencontres avec des sportifs comptent : j’ai aussi beaucoup de plaisir à écouter les « gens du coin », même si c’est plus rare, qu’il s’agisse d’un éleveur, du propriétaires d’un vieux chalet ou du conducteur du chasse-neige de la Barillette. Dans ces échanges-là, on en apprend bien plus sur les régions qu’on parcourt qu’en pianotant pendant des heures sur le web.
Au printemps, je suis heureux de retrouver les pèlerins sur le Chemin de Compostelle, car ils me rappellent cette magnifique aventure vers l’ouest, durant laquelle on « sort du temps », en particulier lorsqu’on marche : 2000 kilomètres à pied, c’est autre chose qu’à vélo ! Si je sens, au rythme des pas ou au regard, que c’est possible, j’engage la conversation avec enthousiasme, pose des questions sur le projet, dont l’inévitable « jusqu’où allez-vous ? », et évoque quelques souvenirs magiques.
Et puis, il y a celles et ceux qui jouent avec les mots et les situations. Comme ce groupe de marcheuses sur lequel je suis tombé au détour d’un virage sur un sentier en descente : « Vous pouvez faire un strike », m’a dit l’une d’entre elles avec un sourire (j’arrivais à faible vitesse). Ne connaissant pas cette expression, j’ai posé la question : « Un strike, c’est quand vous faites tomber toutes les quilles en un lancer… » J’ai souri à mon tour, tandis qu’une autre remarquait que son amie avait de « drôles d’idées », puis ai repris ma descente.
Lorsqu’on vit en ville et qu’on a fini par s’habituer aux visages fermés ou vissés dans les écrans, le contraste est d’autant plus remarquable ! Comme quoi l’adage proclamant que tout ce qui est rare est précieux vaut aussi pour les relations humaines : il est en effet bien plus difficile de maintenir des contacts enthousiastes au cœur de l’hyper-concentration urbaine en croissance perpétuelle et de son cortège de nuisances.
Enfin, je relève que l’augmentation exponentielle du nombre de VTT électriques a pour effet de rapprocher les marcheurs et les vététistes sans moteur, pour autant que ceux/celles-ci se comportent avec respect. Je ne compte plus les remarques du genre : « Ah, vous êtes un vrai sportif ! », ou bien « Vous au moins n’avez pas de moteur ! », ou encore en version allemande « Das ist ein echter », lorsque j’approche de randonneurs. Souvent, cette entrée en matière s’ensuit d’un échange sympathique, qui relègue aux oubliettes les reproches de celles et ceux qui, auparavant, n’aimaient pas du tout partager la nature avec les cyclistes. Désormais, l’altitude gagnée à la seule force des jambes nous unit, au lieu que la présence ou l’absence de roues nous divise. Belle nouvelle !
Au plaisir de vous rencontrer là-haut !