Solidarité avec le peuple afghan

Vingt ans de présence occidentale en Afghanistan n’auront pas servi à grand chose : le pays ne connaît que le chaos et la violence, depuis l’invasion soviétique de 1979. Bien sûr, la situation intérieure est complexe, sur fond de mosaïque culturelle, de tensions interethniques, voire de racisme envers certains groupes minoritaires (Hazara notamment), et sur la ligne de contact entre les sphères persane et turco-mongole. Toutefois, les conflits à répétition qui plongent la population dans le désarroi, l’angoisse et la pauvreté sont, aujourd’hui comme hier, largement alimentés par des intérêts extérieurs : URSS/Russie, Pakistan, États-Unis, wahhabisme séoudien ou qatari, Al Qaeda, Daech. Certains tentent de fuir à l’étranger, d’autres prendront les armes, à l’image des compagnons d’Ahmad Massoud dans le Panjshir, la plupart endureront la sévérité des nouveaux maîtres, avec résignation.

Au lendemain de la prise de Kabul par les Talebs, faisant suite à une progression éclair et pratiquement sans combattre, la débandade américaine et les propos inacceptables des dirigeants européens, dont Macron, à l’égard d’une potentielle « vague de réfugiés » nous démontrent que si le rigorisme obscur des barbus n’améliorera jamais le sort de l’humanité, les prétendues valeurs « démocratiques » et « humanistes » d’un Occident en bout de course ne valent guère mieux. D’ailleurs, peut-être faut-il rappeler ici que depuis des décennies, ce ne sont ni les barbus radicaux, ni les pauvres qui précipitent la fin du monde, ou plutôt la fin d’un monde (le « nôtre »), mais bien les « démocrates » vautrés dans l’hyperconsommation et l’aliénation digitale, et convaincus (par ceux qui ont des intérêts) que la liberté de faire tout et n’importe quoi sur une planète en voie de dévastation est un projet d’avenir.

En ce jour anniversaire de l’assassinat du Commandant Massoud en 2001, dont je me souviens très bien, puisque mes collègues volontaires MSF étaient présents à proximité du lieu de l’attentat, j’ai envie de rappeler le courage de ceux qui s’opposent à toutes les oppressions, au péril de leur vie – qu’il s’agisse de travailleurs humanitaires ou, lorsqu’il n’y pas pas d’autre moyen, de combattants.

Je recommande vivement la (re)lecture du livre de Christophe de Ponfilly, Massoud l’Afghan, à tous ceux qui voudraient se familiariser avec l’histoire contemporaine de l’Afghanistan. Christophe de Ponfilly a également tourné un documentaire, sous le même titre, en 1998. Pour prendre la mesure du courage et de l’engagement des volontaires de l’action humanitaire en situation de guerre, ainsi que des Moujahidin, on lira avec intérêt la BD en 3 tomes Le Photographe, d’Emmanuel Guibert, Didier Lefèvre et Frédéric Lemercier (Aire Libre Dupuis, 2003-2006). Après cette plongée émouvante dans l’enfer de la guerre, le roman graphique de Nicolas Wild, Kaboul Disco, permettra, par son humour parfois caustique, de reprendre son souffle, sans pour autant négliger tous les problèmes auxquels font face les Afghans et, dans une moindre mesure, la communauté expatriée, à la suite de la guerre « de libération » menée par l’OTAN.

A ceux qui se demanderaient pourquoi je rédige cet article, je répondrai que je me suis toujours senti attiré par ce pays qui, après avoir été traversé par des vagues de jeunes occidentaux en route pour l’Inde et le Népal au cours des années 1970, est devenu du jour au lendemain inaccessible en raison de la guerre. J’ai eu le privilège d’entendre parler des Pashtounes lors de mes premières années d’études à l’université, par un spécialiste de la question, le professeur et ethnologue Pierre Centlivres. De manière plus concrète, en tant qu’arpenteur enthousiaste du sous-continent indien, j’ai frôlé les frontières afghanes à plusieurs reprises, entre 1989 et 1995, en Iran, au Pakistan et au Xinjiang chinois : dans la province du Baluchistan, dans les zones tribales pakistanaises, au Khyber Pass, dans la vallée de Chitral et les vallées Kalash, sur la Karakoram Highway (les images du voyage de 1989 sont sur Piwigo). A chaque fois, je rêvais du jour où la situation s’apaiserait enfin et me permettrait d’entrer dans le pays.

AfghanistanLa réalité afghane m’a toutefois frappé de plein fouet dès la première approche, en 1989 : alors que je séjournais, en tant que voyageur invité, chez des volontaires de Handicap International à Quetta, nous avons reçu la nouvelle terrible de l’attaque d’une équipe HI près de Hérat, en Afghanistan, se soldant par la mort d’un volontaire expatrié et de 5 employés afghans de l’ONG.

AfghanistanLa situation ne s’est pas apaisée par la suite. Aussi, en 2002, quand ma collègue administratrice de la mission MSF en Afghanistan a annoncé sa démission, j’ai immédiatement proposé d’aller la remplacer. C’est donc en travailleur humanitaire, et non en voyageur, que j’ai pu approcher la réalité afghane, rencontrer les Afghans et collaborer avec eux. J’étais basé à Faizabad, dans la province du Badakhshan, au nord-est du pays, parmi une population en majorité Tadjik – une ethnie du groupe persan, dont l’un des membres éminents fut le Commandant Massoud.

Afghanistan

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AfghanistanLe contact avec la population locale et, plus encore, avec mes collègues afghans, m’a une fois de plus rappelé que plus on s’éloigne des sentiers battus, plus on bénéficie de rapports authentiques avec les gens. Il est tout à fait intéressant de constater que c’est toujours dans les contrées les moins visitées, voire les plus stigmatisées par le discours « démocrate », que l’on est le mieux accueilli. SI vous voulez d’autres exemples, je peux citer, en vrac, et en m’appuyant sur des expériences vécues dans les années 80-90, l’Iran, l’Algérie et la Libye.

En Afghanistan, comme dans beaucoup d’autres pays du Sud, il n’est pas aisé de se faire respecter quand on est jeune et qu’on débarque d’Europe avec pour mission de faire évoluer les choses dans une mission qui a déjà vu passer beaucoup d’expatrié-e-s. Je me souviens que ce fut une tâche ardue et dans laquelle j’étais très investi, mais aussi que je n’ai jamais eu à déplorer la moindre tension ou situation de défiance avec mes collègues afghans, contrairement à ce que j’avais vécu à plusieurs reprises lors de missions précédentes en Afrique. La soirée organisée par mes collègues afghans pour la fin de ma mission a été extrêmement touchante, haute en couleurs, chants et discours multiples des uns et des autres, traduits en anglais à mon attention par Hussein, notre jeune administrateur afghan. Tard dans la nuit, j’ai regagné ma petite chambre les bras pleins de cadeaux qui sont toujours quelque part dans mes armoires (mouchoirs tissés par les filles d’un collègue, foulards, lapis lazuli, etc), sauf la peau de renard que voulait m’offrir l’un de nos chauffeurs – et dont j’ai fait don à la mission Faizabad (« Fox base » à la radio, ça tombait bien !) – après lui avoir expliqué très diplomatiquement que ce serait compliqué de faire passer cela aux nombreuses douanes que je traverserais au retour…

Je n’ai pas eu l’occasion de connaître d’autres régions du pays, à l’exception de Kaboul et des aérodromes sur lesquels nous faisions escale lors des trajets aériens entre la capitale et le terrain (Jalalabad, Kunduz, Taloqan, Mazar-i Sharif). Je tiens juste à souligner combien l’Afghanistan vu du ciel est impressionnant et inoubliable, avec ses chaînes de montagnes gigantesques, dont l’Hindū-Kūsh, culminant à près de 7500 m, ses reliefs arides et érodés, et ses minuscules taches vertes dispersées dans le fond des vallées, là où l’homme a irrigué le désert pour faire pousser de quoi se nourrir. Ces déplacements réguliers entre Kabul et Faizabad, pour les besoins de la mission, m’ont durablement marqué et ont fondé mon attachement pour l’aviation humanitaire, celle qui permet de sauver des vies et de conduire des actions en faveur de la population dans son ensemble : un moyen de transport essentiel dans les régions reculées et difficiles d’accès – voire tout simplement inaccessibles d’une autre manière en raison de l’insécurité, ce qui était le cas notamment en 2002. Et des avions qui se pilotent au manche ! Je ne peux donc résister au plaisir de partager ces 2 vidéos d’autres auteurs qui illustrent assez fidèlement ces aventures aériennes tout à fait exceptionnelles – lesquelles m’ont finalement décidé à passer mon brevet de pilote (qui dort dans un tiroir : je ne vole plus depuis 2007).

De plus, aux lecteurs curieux, je propose ce mini-diaporama de 19 photos prises lors de ma mission en Afghanistan. Ces images résultent du scan de diapositives qui ont 19 ans, par conséquent leur qualité s’en ressent – merci pour votre indulgence.

Au terme de cet article à tendance biographique, je tiens à rendre hommage à la population afghane pour son nécessaire courage et sa résilience, et souhaite inviter les visiteurs de ce site à faire preuve de solidarité, que ce soit par le biais d’un don ou par le soutien aux actions politiques en faveur de l’accueil des réfugiés afghans.

En Suisse, la Chaîne du Bonheur a lancé une récolte de fonds pour soutenir des actions en faveur de la population afghane :

Appel aux dons pour l’aide en Afghanistan

En France, de nombreuses associations sont également engagées auprès des Afghans. Retrouvez-les dans cet article de France Inter :

Voici plusieurs moyens d’aider les Afghans sur place et en France

Merci beaucoup d’avance pour votre soutien !

Plus d’infos :

Les émissions radio de France-Culture

Entretien avec Pierre Centlivres : « Le Pakistan tient les clés de l’Afghanistan« , swissinfo.ch, 16 août 2021

6 réflexions sur « Solidarité avec le peuple afghan »

  1. Merci pour cet article intéressant et sensible, ainsi que pour les références données. Merci également pour les liens vers les associations et structures qui se bougent pour essayer de rendre ce monde moins pourri (je connaissais par ailleurs déjà le travail essentiel fait par Utopia 56 et suis une petite donatrice auprès d’eux).
    Sinon j’imagine que vous le connaissez sûrement mais le roman graphique de Nicolas Wilde, « Kaboul Disco » m’avait particulièrement interpellé sur le sujet.
    Merci en tous les cas pour votre article et votre engagement humanitaire,

    Mya

      • Après lecture, j’ajoute volontiers la référence à « Kaboul Disco » dans cet article : ce livre m’a rappelé de manière saisissante (et parfois comique) quelques-unes des facettes de la vie au sein de la galaxie expatriée, ainsi que les problématiques durables auxquelles font face, avec courage ou résignation, les Afghans.
        Merci encore une fois pour cette excellente recommandation !

        • Je suis heureuse que ce livre ait pû faire écho en vous (honorée également que vous le citiez désormais !) « Kaboul requiem : un thé avec les talibans » du même auteur pourrait peut-être vous intéresser également.
          Bonne journée à vous et merci encore pour vos articles,
          Mya

  2. Compliments, Raphaël, pour cet article d’une très grande force; il est magnifique! Le témoignage des personnes qui ont séjourné dans un pays a toujours à mes yeux une valeur bien plus intéressante que ce que l’on peut entendre à droite ou à gauche. L’estime et l’attachement profonds que tu exprimes pour ce pays et son peuple ne peuvent pas laisser insensible; ton récit m’a touchée, presque jusqu’à une petite larme.
    En son temps, j’ai lu « Massoud l’Afghan » et il m’avait passionnée. « Le photographe » aussi. Plus récemment, j’ai adoré « Le prince à la petite tasse », d’Emilie de Turckheim, dans lequel l’auteure raconte l’accueil qu’elle et sa famille ont offert à d’un jeune réfugié afghan. C’est un roman plein d’humanité et de sensibilité, délicieux à lire.
    Sur cette recommandation, je te remercie vivement de nous avoir proposé en partage cette extraordinaire expérience que tu as vécue, et t’envoie mes salutations amicales
    Florence

    • Merci Florence pour ce commentaire enthousiaste et le conseil littéraire. Les mots valent ce qu’ils valent, mais ici ce sont finalement surtout les images que j’ai eu envie de partager. Et si cette modeste contribution permet de susciter un peu d’intérêt et de solidarité à l’égard des Afghans, je n’aurai pas perdu mon temps. Pour le reste, réjouissons-nous : l’automne arrive et le thermomètre chute !

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