Intermède raquettes dans le Jura

Le ciel dégagé durant la nuit, une masse d’air polaire ainsi que l’absence de vent nous promettaient des températures largement négatives pour ce 13 février. Trop froid pour aller rouler avec l’équipement que j’ai – en particulier pour ce qui concerne les mains et les pieds. Du coup, ne restait que l’option raquettes : à deux pas de chez moi, le magasin d’équipement de montagne Cactus en loue à la journée. J’y étais à l’ouverture, puis ai filé à la gare, laissant pour une fois mon vélo (de ville) cadenassé au parking. Avant 11 heures, je débarquais dans la blancheur et un petit air glacial à la Givrine. Diaporama ici.

Extrapolée¹ à partir des mesures effectuées au sommet de la Dôle, la température devait avoisiner les moins 7 degrés à la Givrine et, compte tenu d’un courant d’est sensible, la température ressentie² variait sans doute entre moins 10 et moins 15 degrés selon l’exposition au vent (au même moment, la température ressentie à la Dôle était inférieure à moins 20). Pas étonnant donc que l’on nous annonce ensuite dans la presse qu’il s’agissait de la journée la plus froide de l’hiver en cours, avec un joli moins 27.2 degrés mesuré à la Brévine.

Trop de chiffres ? Désolé, mais j’aime connaître les conditions dans lesquelles je vis et évolue. De plus, désespéré par les records de chaleur qui se succèdent, je me réjouis de toutes les offensives hivernales, j’adore voir le thermomètre plonger encore de temps à autre, figeant une partie des foules urbaines dans leurs bunkers de béton, où elles se cramponnent à leurs radiateurs et leurs foutus écrans…

Pas toutes les foules : je n’étais pas seul à la Givrine, en ce jour de vacances scolaires ! Mais ça me fait plaisir de voir qu’on emmène encore les enfants faire de la luge dans le Jura. J’ai pris le chemin damé qui monte depuis la gare en direction du Haut Mont et ai rapidement chaussé mes raquettes pour filer sur le sentier pisté et balisé à destination de La Cure, via le Pré du Four. Cet itinéraire est nettement moins fréquenté et le silence y régnait, à l’exception de quelques survols d’avions de ligne en approche vers ou au départ de Genève.

JuraProgressant lentement de clairière en clairière, parmi les sapins couverts de givre et de neige, en contemplation devant cette véritable féérie hivernale, je suis arrivé au bâtiment de Pré-du-Four, où le sentier redescend en direction de La Cure. J’hésitais entre continuer à suivre le balisage puis monter ensuite sur le Noirmont ou prendre à droite sur les traces montant en direction de la cabane du Carroz. N’ayant plus l’habitude de marcher, de surcroît dans une neige qui ralentit considérablement l’allure, et connaissant mal la région, j’étais assez indécis quant à mon itinéraire : je voulais d’abord aller au Mont Sâla et revenir par la Combe des Amburnex, mais j’ai compris que ce serait trop long ; monter au sommet du Noirmont m’obligeait à descendre puis remonter, quant au retour par le Creux du Croue, il représentait aussi une distance considérable à cette heure du jour…

JuraJe me suis donc engagé dans les traces qui montaient en direction de la cabane du Carroz, puis les ai ensuite laissées pour continuer tout droit et à plat en direction de l’Arzière, où je me suis arrêté pour pique-niquer au soleil et à l’abri du vent grâce à l’énorme congère qui s’y était formée. Quel bonheur de se laisser aller à la somnolence contre le mur après une tasse de thé brûlant !

JuraAu moment de repartir, j’ai hésité une nouvelle fois entre le grand tour par Le Croue ou suivre les traces en direction du Vermeilley, puis j’ai opté pour la version courte. Trop courte, me suis-je dit un peu plus tard en quittant les traces pour monter à gauche sur un sommet peu distant, dans l’espoir de bénéficier d’un panorama sur les Alpes. Un skieur y était déjà passé plus tôt, mais les seules autres traces étaient celles, nombreuses, des animaux – et d’ailleurs j’ai eu la chance d’apercevoir un chamois progressant au-dessus de moi sur la butte.

JuraCe détour dans la neige vierge m’a conduit sur une petite éminence où quelqu’un a tendu des drapeaux de prière tibétains entre des arbustes. Puis sur le sommet sans nom qui surplombe le Crêt au Bovairon et offre une magnifique vue sur les Alpes. A 1497 mètres d’altitude, ce fut le point culminant de la balade.

Jura

JuraLe skieur avait rebroussé chemin, quant à moi j’étais très tenté de redescendre jusqu’au Vermeilley à travers la forêt et dans une neige sans traces. La première partie était facile, mais la pente s’accuse au niveau du Crêt au Bovairon. Méfiant à l’égard d’éventuelles barres rocheuses, même modestes, et informé grâce au GPS de la présence de la route du Croue à environ 600 mètres au nord-est en suivant la courbe de niveau, j’ai arrêté de descendre et me suis enfoncé dans la forêt où la couche de neige était encore plus importante. J’ai dû franchir un vallon encombré qui n’apparaissait pas sur le GPS et suis passé à côté d’un… trou qui m’a impressionné. Je n’ai pas osé m’approcher pour regarder au fond, craignant que la neige ne dissimule une ouverture plus grande que ce qui apparaissait, mais le truc avait l’air profond, en tout cas suffisamment pour se casser quelque chose en tombant dedans. S’agit-il d’une glacière, d’un emposieu (ou dolline), d’une simple fissure de lapiaz…? Ou juste d’un micro-trou de rien du tout qui m’a fait peur parce que j’étais tout seul à me débattre dans la haute neige, au fond d’un vallon forestier, où personne ne passe jamais et hors réseau téléphonique…? Quoiqu’il en soit, j’ai ensuite marché avec grande prudence, pas certain de ne pas finir englouti dans les entrailles de la terre par la mauvaise magie d’un trou dissimulé sous l’importante couche de neige. Et c’est avec un certain soulagement que j’ai rejoint la route, elle aussi vierge de toute trace.

Enfin, pas tout à fait : révélant le va-et-vient de tous nos amis des bois à poils et à plumes, ainsi que l’inévitable lutte des uns et des autres pour la survie…

JuraDepuis le Vermeilley, j’ai emprunté le parcours que je fais d’habitude à VTT dans l’autre sens, via le Haut Mont, marchant à vive allure car je n’avais pas l’horaire du train et ne voulais pas rentrer trop tard.

Repensant à l’épisode forestier tout en regardant la carte topo, je réalise combien les conditions du moment influencent notre jugement : la partie « sauvage » hors traces n’atteignait pas même le kilomètre, mais je me souviens avoir eu l’impression de lutter longuement dans un environnement sinon hostile, du moins impressionnant (silence total, haute neige, vallon encombré… et trou).

Une belle leçon de modestie (et de respect !) pour un amoureux de la nature…

Et autant de gratitude vis-à-vis d’une technologie précieuse, le GPS, qui m’a déjà une fois sérieusement tiré d’affaire, dans une vie précédente, alors que je volais seul aux commandes de Novembre-Papa au-dessus d’une couche de nuages compacte et imprévue, sans visibilité avec le sol (« VFR on top »), entre Millau, Albi et Lézignan.

 

¹ Le gradient thermique vertical moyen est d’environ 0.65 degré par 100 m, autrement dit la température baisse en moyenne de 0.65°C lorsqu’on monte de 100 mètres en altitude. A l’inverse, elle augmente de la même valeur lorsqu’on descend de 100 mètres (source).

² Au sujet du refroidissement éolien, voir cette intéressante contribution sur le blog de MétéoSuisse.

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