JO : le grand lavage de cerveau

Mis à jour le 5 mars 2014.

Ça y est : le matraquage médiatique a commencé. La foire la plus chère de l’histoire est lancée, pour le plus grand bénéfice de quelques multinationales, des entreprises de pub, de Vladimir Poutine et de sa clique de voleurs. Avec déjà un perdant assuré : la citoyenneté.

sochi 2014J’aime le sport, le vrai, autant que la liberté de le pratiquer en pleine nature, l’esprit débarrassé de toute velléité compétitive. Car l’esprit de compétition, érigé en principe fondateur dans le monde néolibéral, constitue en réalité un véritable facteur de désintégration sociale et d’aliénation de masse.

Au-delà de conséquences profondément anxiogènes au niveau individuel, la prévalence des relations basées sur la compétition exclut d’emblée tout développement d’une réelle coopération entre les individus, les groupes sociaux, ou les nations. Et pourtant, c’est bien de coopération (et de lucidité !) dont ce monde a besoin.

Sochi 2014La guerre de tous contre tous, en permanence, pendant que les cochons s’enrichissent – c’est la promesse néolibérale. Les JO, en glorifiant l’esprit de compétition et en ajoutant les paillettes, y apportent leur caution.

Sochi 2014Par ailleurs, le coût exorbitant de cette manifestation stupide laisse sans voix : 37 milliards d’euros (45 milliards de francs suisses, 50 milliards de dollars US), soit 4 fois plus que les derniers JO d’hiver à Vancouver (2010) ou 28 fois le coût des JO de Nagano en 1998, somme qui à l’époque avait été jugée « extravagante » !

Sochi 2014La plupart des pays, sous l’impulsion des puissants lobbies du monde de l’économie, démantèlent leurs services publics au motif qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses. La transition énergétique, ainsi que les mesures en faveur du climat sont reléguées au rang d’utopies, pour la même raison. Dans les pays riches, on discute depuis des années de l’opportunité d’attribuer 0.5% du PIB à la coopération au développement, alors même que tous s’étaient engagés à atteindre 0.7% à la Conférence du Caire en 1994. En 2013, 2.4 milliards de personnes n’avaient pas accès à l’eau potable ; selon la FAO et l’ONU, près de 900 millions souffraient de malnutrition chronique. On pourrait continuer la liste du désordre global, l’énumération de ces catastrophes au sujet desquelles on nous sert toujours le même discours : « il n’y a pas/plus d’argent »…

Mais pour distraire des millions de « patates de canapé » vautrées devant leur TV, servir l’ambition de quelques milliers de jeunes mutants (¹) et, surtout, fournir du temps d’écoute au matraquage publicitaire, on trouve des dizaines de milliards !

Sochi 2014Et bien sûr, ces milliards ont aujourd’hui en bonne partie disparu dans les poches des petits copains de Poutine. De nombreuses personnes ont dénoncé la corruption massive qui régnait autour de ces chantiers gigantesques. Étant habitués à de telles informations en provenance de Russie, on ne s’en est pas tellement ému.

On peut encore mentionner la question environnementale et la promesse non tenue par Poutine d’organiser des jeux sans polluer l’environnement local. Des milliers d’hectares de forêts protectrices ont ainsi été déboisés, laissant la région à la merci des avalanches et glissements de terrain. Sans oublier les déversements toxiques dans les rivières et les décharges sauvages. Les défenseurs de l’environnement qui dénoncent ces pratiques sont systématiquement poursuivis et risquent la prison ou le camp de travail.

En outre, j’ai beaucoup de peine à comprendre l’intérêt de regarder quelqu’un dévaler une pente à ski pour savoir s’il a mis un dixième de plus ou de moins que le précédent. Qu’est-ce qu’on peut bien en avoir à faire ? Faut-il qu’on s’ennuie dans sa vie pour avoir ainsi du temps à perdre !

Mais évidemment, les grosse boîtes à fric planétaires savent très bien à quel point « on » s’ennuie, après avoir passé la journée dans des jobs majoritairement aliénants et sans intérêt, et elles y répondent en sponsorisant « généreusement » les grand-messes « sportives », profitant ainsi de l’aubaine de millions de cerveaux captifs autant qu’aveuglés pour asséner leur logorrhée publicitaire.

Dans le cas des JO de Sochi, les 10 sponsors principaux sont de grosses entreprises multinationales pas vraiment engagées dans la construction d’un monde meilleur : on y trouve notamment le roi de la malbouffe et son équivalent dans le domaine des boissons sucrées, un géant de la chimie (qui fut l’un des producteur du sinistre « Agent orange » et aussi responsable de la catastrophe de l’usine Union Carbide à Bhopal en 1984), un fabricant de moteurs d’avion (garant d’une augmentation sans fin des émissions de CO2), le leader mondial de la captation permanente via les écrans mobiles et un fabricant de montres de luxe pour les riches.

Sochi 2014Il est grand temps que nous nous libérions (²) de l’emprise malsaine et aliénante de ces grands groupes économiques qui n’ont d’autre perspective que celle de la maximisation des profits à court terme. Quel qu’en soit le prix – environnemental ou social.

Sochi 2014Enfin, alors que le monde sombre dans le piège néolibéral, que nos vies sont livrées petit à petit aux seuls intérêts du « Marché », la part des infos relatives aux sports de compétition dans les médias semble n’avoir jamais été aussi élevée. Cela ne doit pas nous surprendre, tant il est vrai que les « jeux » ont de tout temps représenté un précieux auxiliaire de gestion du mécontentement populaire.

Cette année, nous aurons encore droit à la Coupe du monde de football et à un matraquage encore plus important, sur une plus longue durée, pour une compétition tout aussi débile. Toutefois, au Brésil, le gigantesque gaspillage de ressources provoqué par l’organisation de l’événement a heureusement suscité depuis l’été dernier un important mouvement de contestation parmi la population. Apparemment, les Brésiliens ont moins envie de s’aplatir devant leurs autorités et le cortège des sponsors que les Russes… Et cela me réjouit.

Mise à jour 5 mars 2014

La « fête » est finie à Sochi. Les mutants sont rentrés au bled, gonflés d’orgueil ou en larmes. Les médias et les agences de com des sponsors réorganisent leurs troupes et leur propos pour reprendre le matraquage débilitant au plus vite, à l’approche de la Coupe du monde de foot. Aujourd’hui, à « J moins cent » on a déjà eu droit à l’apéro. Pas question de laisser le temps aux gens de reprendre leur souffle : il y a toujours de nouveaux cerveaux à lessiver et de la merde à vendre.

Toutefois, aujourd’hui je rigole. Je ris de voir la « communauté internationale » s’affoler parce que leur hôte d’hier, le Grand Manitou des JO à 50 milliards, devant lequel tous faisaient des génuflexions hier, s’amuse aujourd’hui à « souffler le chaud et le froid », selon l’expression consacrée, en Ukraine. Je me marre de constater une fois de plus l’aveuglement et la bêtise de ceux qui nous gouvernent et se retrouvent une fois de plus la gueule enfarinée parce qu’un de leurs bons « amis », à qui ils ont fait plein de cadeaux, a décidé de n’en faire qu’à sa tête et de bafouer le droit international (pour faire court). Aujourd’hui, c’est le tsar. Hier, c’étaient Oussama et Saddam.

Qu’on n’en déduise pas pour autant que je reste insensible à la situation sur place, en Ukraine. J’ai au contraire énormément de respect et d’admiration pour les manifestants de la place Maidan à Kiev et des autres villes en révolte, qui ont fait preuve d’un courage et d’une détermination impressionnants dans leur lutte contre les bataillons de brutes de Ianoukovich et les snipers assassins, de quelque bord qu’ils soient (la question semble de moins en moins claire). Contre ce courage-là, aucune arme ne triomphera jamais. Essayons de nous en souvenir.

Et bravo aux sportifs ukrainiens qui ont quitté les JO pour protester contre l’escalade de la violence dans leur pays.

 

(¹) Mutants : sous-produits d’origine humaine, physiquement compétents durant une brève période, mais ayant abdiqué de leur citoyenneté en faveur d’un patriotisme ridicule et de l’esprit étroit du compétiteur. Formatage assuré par les équipes nationales, les sponsors et, parfois, l’industrie pharmaceutique.

(²) Il existe plusieurs façons de se libérer et d’envoyer au diable la racaille mondialisante et ses lamentables valets politiques. Les Suisses viennent de choisir la plus mauvaise, en acceptant ce 9 février l’initiative « Contre l’immigration de masse » du parti populiste UDC, combattue par le reste de la classe politique et le monde de l’économie. Au-delà de la regrettable caution qu’il apporte à ce parti, ce énième désaveu de la politique menée par le Conseil Fédéral a toutefois le mérite de doucher les ambitions globalisantes des patrons arrogants et de soumettre les « autorités » à un véritable électrochoc. Je ne crois personnellement pas à un vote massivement xénophobe, mais bien plutôt à l’expression maladroite du refus, par une majorité de la population, du grand foutoir néolibéral et de son unique mot d’ordre – le fric, le fric, le fric !

Plus d’infos :
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